exposition « Eros Pigalle / La Galerie ADDICT & Laetitia Hecht


Communiqué de presse

La Galerie ADDICT & Laetitia Hecht sont heureuses de vous inviter au vernissage de l’exposition « Eros Pigalle » des photographies de Gilles Elie Cohen, le Samedi 5 Septembre, de 17h à 21h.
Cette exposition sur le Pigalle de la fin des années 70, nous est racontée par Gilles Elie Cohen. Il s’agit là d’un document rarissime, unique en son genre. Il nous offre à voir au travers de ses photographies, les coulisses et l'envers du décor de ce quartier mythique, guidé par " Lolo Pigalle "…
 " J’avais une amie qui était engagée dans le mouvement féministe. Je lui en ai parlé et elle m’a présenté à Lolo Pigalle. Lolo avait déjà été filmée une quinzaine d’années auparavant par Marguerite Duras et avait soif de s’exprimer. En 1965 elle avait dit à Marguerite Duras qu’elle voulait faire autre chose dans la vie.
A présent, autour des années quatre-vingt, elle était la plus vieille stripteaseuse de Pigalle et continuait à faire le tour des boîtes. Elle accepta tout de suite que je fasse un reportage photographique sur elle, qu’elle me serve de cheval de Troie dans ce monde qui plonge dans le secret et l’obscur quand les néons s’allument. Je n’ai jamais su son vrai nom et d’ailleurs je ne le lui ai jamais demandé… "
Gilles Elie Cohen
J’avais accepté un boulot de photographe pour un livre pornographique. C’était un moment difficile […] Je me souviens encore de l’odeur âcre et du silence sur le plateau, un grand studio dans le XVIIIe arrondissement. Une société spécialisée dans les photos de mariage traitait en sous-main la séance. Une grande Brésilienne riait aux éclats et faisait son truc sans état d’âme. Les mecs étaient capables de surprenantes performances. Le producteur, le visage ruisselant de sueur, mâchait nerveusement son cigare en donnant des indications. C’était un gros avec un visage d’omelette baveuse et une grosse mèche teinte en rouge rabattue sur son crâne chauve. Il a désormais abandonné la profession et est devenu bouddhiste. C’est à cet instant qu’est née mon idée de faire un reportage sur Pigalle.

    Lolo a grandi à l’orphelinat, elle n’a jamais été à l’école. Elle m’a dit que lorsqu’on n’avait nulle part où aller, ce quartier pouvait être un asile pour vous. Sa mère a été abandonnée avec cinq enfants. Elle dit : " J’ai élevé tout ça, je peux même dire que j’ai élevé ma mère parce que tout ce qu’elle a eu au monde c’est moi qui le lui ai donné ". Dans le film de Marguerite Duras *, on voit Lolo faire de la barre dans une salle de danse. " Mon métier ne me plaît pas ", dit Lolo à l’écrivain. Elle dit aussi que l’amitié est la chose la plus importante au monde. Je regretterai toujours de ne pas lui en avoir donné assez.
Un ami à moi, que je lui avais présenté, a eu une histoire d’amour avec elle. Je n’avais pas aimé ça. Lolo Pigalle m’appartenait comme une grande soeur.
    Chaque jour, vers midi, commençait sa journée de travail. J’allais la prendre dans son petit appartement, un petit cocon douillet et bien rangé sur la Butte Montmartre. Elle faisait le tour des boîtes et lorsqu’un client s’était laissé convaincre par un rabatteur, un rayon de lumière entrait dans la boîte plongée dans la pénombre, Lolo fonçait sur la scène tandis que les entraîneuses sortaient de leur somnolence. On me demandait de m’installer avec une fille autour d’une bouteille de champagne pour faire croire au client qu’il y avait de l’ambiance. Dans l’arrière-salle, le barman remplissait la bouteille de Dom Pérignon avec du mousseux éventé. Une fois, lors du salon des agriculteurs, la haute saison pour Pigalle, un groupe de paysans furieux de s’être fait avoir, avait défoncé une boîte avec un bulldozer volé dans un chantier.
    Lolo avait ses protégées, des jeunes filles échouées là après l’orphelinat ou je ne sais quelle galère. Lolo surveillait de près leurs fréquentations et interdisait aux macs de s’approcher d’elles. Elle leur évitait le coup de fer à repasser dans la gueule pour obliger la petite à faire le trottoir. Les macs rôdaient comme des prédateurs, elle les connaissait, elle m’en a montré quelques-uns, des beaux gosses spécialisés dans le recrutement pour la pègre des proxénètes.
    Quelquefois, elle sacrifiait sa journée à de mystérieuses visites à la prison de la Santé. Elle m’en a raconté un bout, elle en savait long sur le quartier. Il y a toujours un moment où on en sait trop, où on est trop dans le coup pour prendre des photos, le boitier pend comme un appendice inutile sur votre ventre, tandis que le commissaire avec son holster sur sa chemise — il a laissé tomber la veste — joue au poker dans l’arrière-salle, à midi ; il fait noir, l’unique ampoule dessine un cercle de lumière sur la table.
    Je me souviens de cette fille, une beauté qui dirigeait une boîte, elle m’avait frappé en plein coeur, on avait pris rendez-vous pour prendre des photos. Une fois arrivé, son bienfaiteur à la soixantaine superbe était là en costume sombre et écharpe de soie blanche, les cheveux argentés plaqués en arrière. Il a posé une rivière de diamants devant la belle en me regardant du coin de l’oeil. J’avais compris.
    Souvent, une fille insistait pour que je la prenne en photo, je trouvais qu’elle ne savait pas ce qu’elle faisait, qu’elle pouvait se retrouver dans un journal, être reconnue par ses parents. Elle me disait : " Je m’en fous ". Une stripteaseuse, " Cacahuète ", tenait absolument à ce que je la photographie dans des postures provocantes et étranges. Pourquoi donc ?
Une prostituée voulait que je fasse un portrait d’elle un rouleau de papier hygiénique sur la tête. Quand on plonge son regard dans l’inconnu, on comprend que la photographie n’est qu’« une approche sans connaissance ".
    Après quelques semaines à rôder à Pigalle avec Lolo, je n’en savais pas plus long. " Il n’y a pas de vocation de stripteaseuse… Quand on est dans la misère, on ne connaît pas autre chose ", dit Lolo. Un jour, j’ai jeté à la poubelle une centaine de diapos de ce reportage. Je ne me souviens pas très bien pourquoi. Pour voyager léger sans doute.

   En 2015, je me suis mis à la recherche de Lolo. Elle doit avoir à présent entre soixante-dix et quatre-vingt ans. Je demandai à tous les rabatteurs en face des boîtes s’ils connaissaient Lolo Pigalle. " C’est l’ancienne génération ", me dit une jeune fille en riant. Une fille rabatteur… Les temps ont changé. Finalement un homme aux cheveux blancs m’interpella : " Je la connais, elle est morte, mais si tu en veux une autre, on a ce qu’il faut. " Je revis mon ami qui avait eu une histoire avec elle. Il me dit être capable de retrouver son appartement sur la Butte, quand il ira mieux, précisa-t-il. Il venait d’avoir une crise cardiaque. Quelques semaines plus tard, on prit un taxi et il retrouva tout de suite la rue, juste en bas des vignes de la Butte Montmartre. Il reconnut le petit immeuble. Une porte en fer interdisait l’entrée. Je sonnai longuement, personne ne répondit, l’immeuble semblait abandonné, puis on alla boire un verre sur une terrasse ensoleillée.

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